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Lettre ouverte
M. Gabriel Attal, Ministre de l’Education nationale
Monsieur le Ministre,
Alors que tous les projecteurs médiatiques sont braqués sur la rentrée scolaire 2023 sous l’angle de la laïcité, il nous semble impératif de vous rappeler que les valeurs républicaines de notre devise nationale, de liberté, d’égalité, de fraternité, sont trop souvent bafouées quand il s’agit de la scolarité des élèves en situation de handicap intellectuel – avec trisomie 21 notamment.
Selon le récent sondage IFOP intitulé « Le regard des enseignants sur l’école inclusive », 42 % des enseignants de votre Ministère osent déclarer ouvertement qu’un enfant trisomique, autiste ou déficient intellectuel n’a pas sa place à l’école de la République, alors qu’ils sont quasi unanimes (95%) à se dire favorables à la scolarisation des élèves ayant un handicap physique au sein d’établissements ouverts à tous. Quelle est donc cette hiérarchie des handicaps qui se traduirait dans les écoles françaises par une hiérarchie des droits à l’instruction ? Où est l’égalité des chances quand on exclut les élèves les plus vulnérables ? Où est la fraternité de l’école inclusive et du grandir ensemble ? Où est la liberté de choix pour les familles de préférer l’école ouverte à tous à la réclusion dans un institut médico-éducatif à huit-clos ? Osons poser les mots sur ce sondage : discrimination sur la base du handicap. Le handicap intellectuel est, impunément, la dernière frontière de la discrimination dans notre pays, et tout particulièrement au sein de l’école de la République !
La France a relégué voici des années le sort des enfants et adolescents en situation de handicap intellectuel sous la seule responsabilité d’associations gestionnaires qui, sous couvert d’éléments de langage fallacieux, prétendent offrir une « scolarisation adaptée » quand de nombreux témoignages et les chiffres disponibles montrent que ce n’est pas le cas.
Nous rappelons que les IME ne sont absolument pas des « écoles spécialisées » comme on voudrait le laisser croire au grand public. Les IME relèvent uniquement du Ministère de la Santé et n’ont pas de réelle ambition pédagogique : en IME, il n’y a aucune obligation d’enseignement ni aucun programme scolaire. Votre Ministère s’en désintéresse au point de refuser toute co-tutelle de ces établissements, alors que 70 % de leur budget provient des fonds publics. A raison de 50 K€ par an et par enfant handicapé intellectuel ségrégé en IME, cela fait 35 K€ par an et par enfant handicapé intellectuel d’argent public dépensé sans réelle contrepartie scolaire.
Car l’enseignement en IME, Monsieur le Ministre, est famélique quand il n’est pas totalement inexistant. De nombreux témoignages de familles relatent en effet l’impossibilité d’accès à une salle de classe dans les IME. Et quand des heures de « cours » y sont dispensées, c’est au mieux 6 heures par semaine et la plupart du temps moins de 3 heures hebdomadaires, voire 30 minutes hebdomadaires. Bien insuffisant pour apprendre à lire, écrire, compter, même pour un enfant qui n’aurait aucune difficulté cognitive. Et bien loin des 24 heures de cours hebdomadaires dispensées à l’école dont on les exclut.
Il est de notoriété publique que les IME manquent d’enseignants : en 2021, une question écrite du sénateur de l’Ardèche, Mathieu Darnaud, alertait le gouvernement sur la pénurie d’enseignants dans le milieu dit « spécialisé », avec seulement 3500 enseignants intervenant en IME pour près de 70 000 enfants et adolescents tous âges confondus sur l’ensemble du territoire. Des médias s’en sont également fait l’écho, à l’instar de France Info, qui dénombrait la même année 8 enseignants pour 250 enfants et adolescents de 3 à 20 ans placés en IME, ce qui donne 1 enseignant pour 31 élèves en situation de handicap intellectuel, sachant que les besoins d’éducation scolaire et les capacités de l’élève ne sont évidemment pas du tout les mêmes entre un jeune enfant de 6 ans et un grand adolescent de 18 ans et qu’ils ne devraient donc pas cohabiter dans la même classe. Le « manque de moyens » pédagogiques pour les élèves handicapés intellectuels dans les IME est donc encore plus dramatique que dans les écoles.
Pendant ce temps à l’école, pour les rares enfants avec un handicap intellectuel qui ont survécu aux tentatives d’orientation forcée en IME pendant les ESS (équipes de suivi de scolarisation), à renforts parfois de menaces d’IP (informations préoccupantes) abusives à l’ASE (Aide sociale à l’enfance), trop d’enseignants rechignent encore à adapter leurs pratiques et délaissent leurs élèves affectés d’un handicap cognitif. Ces enseignants réfractaires à l’école inclusive, qui ne font preuve d’aucun devoir de réserve sur les réseaux sociaux sous couvert de pseudonymat, prétextent un manque de formation et de moyens et en même temps refusent les outils qui leurs sont proposés par les parents d’élève ou les professionnels du médico-social qui assurent les rééducations en dehors des temps scolaires. Il faut que cela cesse. Exemples parmi tant d’autres : livret de suivi école – rééducateurs, grilles d’évaluation par objectifs, outils de CAA (communication alternative et augmentée) à base de pictogrammes, plannings visuels, etc.
Il n’est, en particulier, pas du tout déontologique (ni cohérent) de priver des élèves non verbaux de leur moyen de communication quand il est fourni à l’école, et de se plaindre ensuite des difficultés de communication avec ces mêmes élèves !
La rentrée scolaire 2023 marque l’entrée en vigueur du « Pacte pour la réussite éducative », mais il n’est ni assez explicite ni assez incitatif concernant l’inclusion effective des élèves handicapés, en particulier sur le volet du handicap intellectuel encore largement rejeté par les équipes pédagogiques.
Nous vous proposons donc, en complément, 8 mesures très concrètes pour améliorer l’inclusion des élèves en situation de handicap intellectuel dans les classes de l’Éducation Nationale :
1 L’instauration d’une prime échelonnée pour les enseignants dès lors qu’au moins un enfant avec un handicap intellectuel (trisomie 21, autisme, déficience intellectuelle) est scolarisé au moins à mi-temps effectif dans leur classe.
2 L’instauration d’un statut stable pour les AESH, avec par exemple le rattachement aux collectivités territoriales sont dépendent les établissements scolaires (communes pour les écoles maternelles et primaires, département pour les collèges, région pour les lycées), afin de les fidéliser et de mettre un terme à l’éparpillement des PIAL.
3 La réduction des effectifs à 25 élèves maximum dès lors qu’au moins un enfant avec un handicap intellectuel (trisomie 21, autisme, déficience intellectuelle) est scolarisé au moins à mi-temps effectif dans la classe.
4 La mise en œuvre d’une formation obligatoire sur le handicap intellectuel pour tous les enseignants en activité, par exemple sous la forme d’un MOOC hébergé sur le site Internet du Ministère de l’Éducation nationale, avec du temps libéré pour le suivre et une évaluation finale des connaissances.
5 La formation des AESH aux outils pratiques d’accompagnement du handicap intellectuel : notions de neuro-développement, bases de la CAA, utilisation des pictogrammes, modes de guidance, kit de mots clé signés en LSF ou Makaton, usage des renforçateurs, approche Montessori, etc.
6 La formation des AESH aux outils pratiquesLa décorrélation du niveau scolaire et de l’âge biologique pour les enfants affectés d’un handicap intellectuel, avec le rétablissement de la possibilité de redoublement au moins une fois par cycle. Notre système scolaire basé sur des attendus théoriques associés à chaque âge est actuellement mal adapté à des enfants en décalage cognitif et qui apprennent sur le temps long.
7 La rédaction de programmes officiels adaptés, déclinés des programmes scolaires classiques, afin de guider les enseignants dans la mise en œuvre de progressions pédagogiques graduées et centrées sur les compétences élémentaires, faisant appel à des méthodologies éprouvées en contexte de handicap cognitif.
8 Des sanctions au titre de l’évaluation annuelle pour les enseignants réfractaires aux pratiques non déontologiques. Exemples : refus d’utilisation des outils adaptés aux élèves handicapés et mis à disposition des enseignants (CAA), menaces d’IP abusive lors d’une ESS quand les parents d’un enfant handicapé refusent une orientation en IME, non prise en compte du PPS (projet personnalisé de scolarisation), absence de rédaction du PAOA (programmation adaptée des objectifs d’apprentissage) …
Nous réclamons, enfin, le droit à l’auto-détermination scolaire et le respect des souhaits d’orientation formulés par les parents d’enfants porteurs de trisomie 21 ou de handicap intellectuel. Il n’appartient pas aux personnels du Ministère de l’Éducation Nationale de prétendre imposer, lors des ESS ou de la rédaction des GEVASCO, une orientation en IME quand elle n’a pas été souhaitée. L’école est obligatoire et l’éducation est un droit. Être handicapé n’y change rien : un enfant trisomique ou autiste n’a pas moins de droits qu’un enfant « ordinaire ». Il est aussi capable de progrès et d’apprentissages, comme en témoigne une étude publiée en 2011 dans le Journal of Intellectual Disability Research : avec un accompagnement éducatif adéquat, 70 % des enfants trisomiques âgés de 6 à 10 ans savent lire, plus ou moins bien ; à 20 ans, ils sont 94 %.
Votre prédécesseur n’avait pas jugé utile de répondre à notre première lettre ouverte, en date du 21/03/2023. Nous espérons donc que vous saurez, Monsieur le Ministre, vous montrer plus ouvert sur la question du handicap intellectuel et plus soucieux de vos responsabilités à l’égard de ces enfants et adolescents qui devraient tous être vos élèves.
Exclure dès l’école, c’est exclure pour la vie. Nous comptons sur vous pour changer de paradigme.
Dans cet espoir, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos respectueuses salutations.
Le collectif T21 Espoir
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